La Mort ?

Je ne crois pas à la mort. Je la sais, cela suffit à légitimer mes angoisses et à satisfaire mon anxiété.
J'ai surtout peur de souffrir, de perdre la tête ; de devenir un légume animé mécaniquement et de m'éterniser dans un spectacle désolant, long et inutile, pour un entourage qui ne pourra plus que souhaiter ma fin rapide. Beaucoup de gens espèrent s'éteindre dans leur sommeil, il me semble que j'aimerais mieux être en pleine conscience à mon dernier instant ; le vivre ! ?
             J'en voulais à la " putasserie de la mort " ...
                                                                              ... Certainement à tort car c'est plutôt à la putasserie de la vie que j'en voulais et, raisonnablement, je lui aménageais un temple. Du moins un lieu dédié à la prise de vue photographique de mes modèles. Une installation qui sera déménagée et reconstituée sur une estrade dans une exposition, où je ferai in-situ une séance photo ...
             Je commençais systématiquement les séances par un déshabillé du modèle. Le pantalon baissé sur les talons et la culotte à mi-mollet, elle enlevait le haut, tirant sur le chemise ou pull, le soutient-gorge dégrafé, quand elle en portait un ... J'aimais les marques laissées par les vêtements sur la peau. La pose était prise de face et de dos. Comme on me reprochait leurs pieds sales, je leur fis garder leurs chaussures. Le sol de mon lieu, dans mon atelier de peintre, était un morceau de lino de 5 ou 6 m2 censé protéger le plancher d'éventuelles coulures. Je le tâchais intentionnellement pour rajouter un cachet " atelier d'artiste ", j'y organisais des formes géométriques qui répondaient souvent à une bande jaune catadioptre ( de la signalisation d'une place de parking et qui s'étant décollée du goudron un jour de grande chaleur avait pu être roulée et ramenée chez moi ). Je laissais traîner dans l'installation un olisbos qu'un ami m'avait offert. Il l'avait découvert sur le haut d'une armoire dans la chambre de son père décédé, nous ne sûmes jamais si il servit à quelques amusements, ni avec qui mais je le nettoyait et passais à l'alcool au cas où ... Aucun de mes modèles n'en fit usage. J'aurais pu l'envelopper d'un préservatif, j'en avait tout un stock ; il était de bon ton en ce temps d'en distribuer avec le café dans les bars ...
Campagne préventive,
compagnes attentives, mais pour une durée trop déterminée. Mes modèles répétaient inlassablement des danses qui n'avaient rien de macabres, s'affublant de masques, jouant d'objets éparpillés que j'avais fabriqués, cueillant des fleurs artificielles rebuts de cimetière, un "R " en métal provenant d'une enseigne signait la photo dés la prise de vue .... Et toujours des grenouilles copulaient , leurs gueules grandes ouvertes inarticulant un inaudible chant funèbre, menacées par un serpent ; en plastique, lui aussi.
 J'aimais que tout soit faux à l'excès, pour palier à mon incapacité à formuler un mensonge crédible.
C'était un temps de jeu enfantin, d'une anodine perversion. Inépuisable ; quand il s'est arrêté avec ces modèles, je l'ai continué avec d'autres. Fidèle au jeu, mais pas aux pions, même si je les considérais comme des reines ... Toutes sortes de reines ... Maudites quelques fois, quand elles m'annonçaient au dernier moment l'annulation de la séance, ... , mais sans le montrer ; courtois. Quand ce n'était pas une absence non excusée, pure et simple, me laissant sans nouvelle dans l'aménagement du décor à tourner en rond. Tout ranger, résolu, qu'il redevienne un atelier efficace de peintre.
J'étais surpris souvent du peu d'intérêt des modèle aux images qu'elles nous laissent d'elles. Ce pourrait être une force, pour beaucoup c'est un je-m'en-foutisme, une paresse. Elles se laissent diriger en confiance, à peu près toutes ont joué le jeu, dociles à mes directives, s'obligeant à l'expression ou expressivité circonstancielles, au besoin, à la demande ; figées dans d'exquises grâces classiques, ou obscènes délicieusement offertes gesticulant de manières désordonnées pour disparaitre en bougés artistiques ...
2 à 3 pellicules en 1 à 2 heures, pauses-cafés et clopes à volonté ...